VATICAN vs ISLAM: La nouvelle guerre de religion?
La nouvelle guerre de religion
Pour la première fois, un pape condamne ouvertement la violence de l'islam. Une maladresse ou une prise de position vers le refus du fanatisme ?
Catherine Golliau
Une religieuse italienne assassinée en Somalie, des églises brûlées en Egypte, des islamistes qui propagent la rumeur d'un complot occidental contre l'islam... Dix-huit mois après son arrivée à la tête de la chrétienté, le très érudit Benoît XVI a-t-il commis une maladresse en citant, dans son discours du 15 septembre à l'université de Ratisbonne, la phrase suivante : « Montre-moi ce que Mahomet a apporté de neuf. Tu ne trouveras que des choses mauvaises... » ? Ce texte n'est pas du pape lui-même : il est extrait de la controverse qui, en 1391, à Ankara, a opposé l'empereur byzantin Manuel II Paléologue à un lettré musulman. « Dieu n'aime pas le sang, assure le basileus à son interlocuteur. Ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de dieu. » Pour Benoît XVI, cette citation visait à mettre en scène dans son discours l'importance de la raison dans la religion chrétienne. Pour les musulmans que ce texte a choqués, le pape a surtout voulu dénigrer l'islam.
Depuis, de la Malaisie au Maroc, c'est un psychodrame. Le pape est assimilé à George W. Bush et au « complot sioniste ». Et les médias s'en donnent à coeur joie en évoquant déjà une nouvelle croisade. Résultat ? Benoît XVI, chef de l'Eglise catholique, a dû exprimer platement ses regrets urbi et orbi, le 17 septembre, lors de son habituel discours de l'Angélus. Et, pour calmer le jeu, le Vatican vient de dépêcher ses nonces aux quatre coins du monde musulman pour expliquer la position du souverain pontife aux autorités religieuses et politiques. Le christianisme fustigé par l'islam, triste résultat pour un pape qui voulait prôner l'alliance de la foi et de la raison. Mais les deux sont-elles vraiment compatibles ?
De saint Augustin à saint Thomas d'Aquin en passant par le musulman Averroès ou le juif Maimonide, cette question a tourmenté pendant des siècles les plus grands esprits. Dieu peut-il être passé au crible de la raison ? Telle était la question. L'islam et le christianisme lui apportèrent des réponses très différentes. Enraciné dans la culture hellénistique, le christianisme reconnaît très tôt l'importance de la raison, dont il fait le support de la foi. Au XIIIe siècle, saint Thomas d'Aquin démontre ainsi que la lumière de la raison et celle de la foi viennent toutes deux de Dieu et ne peuvent donc se contredire. Mieux, la foi ne craint pas la raison, elle la recherche et elle la perfectionne. Joli programme qui n'empêchera pas Luther d'écrire, trois siècles plus tard, que « la raison est la putain du diable », mais qui demeure aujourd'hui le postulat de l'Eglise catholique. Il s'exprime avec force en 1998 sous Jean-Paul II, dans l'Encyclique « Fides et Ratio », et c'est ce même postulat que défend depuis toujours le pape Benoît XVI.
Mais, depuis Voltaire et Diderot, l'homme s'est dégagé du carcan de la religion. Emmanuel Kant a démontré dans la « Critique de la raison pure » que seule la raison est savoir. La foi n'est qu'espérance. Dieu existe, certes, mais comme croyance, pas comme vérité. « Les religions sont comme les vers luisants : pour briller, il leur faut de l'obscurité », écrira Arthur Schopenhauer. La religion devient synonyme de superstition et d'obscurantisme, ce mot inventé par les Lumières pour stigmatiser les tenants de l'Ancien régime : les nobles et les prêtres. « La modernité occidentale s'est construite contre la foi », regrette « Fides et Ratio ». Et le christianisme en son ensemble en paie aujourd'hui le prix. S'il se développe dans les pays du tiers-monde, souvent d'ailleurs aux dépens de l'islam, la première religion du monde (plus de 2 milliards de fidèles) s'étiole en Europe. Et des livres comme le « Da Vinci Code » remettent en question avec succès ses dogmes les plus sacrés : la Crucifixion et la Résurrection.
En islam, la situation est toute différente. L'intégrisme que l'on déplore aujourd'hui se nourrit d'une lecture littérale des textes sacrés et se développe autant sur le terreau de l'ignorance que sur les frustrations liées à la colonisation et au déclin économique et politique. Il est plus le fruit d'un complexe d'infériorité que la conséquence directe de la religion elle-même. Certes, parce que le Coran est pour les musulmans directement dicté par Dieu, il a toujours été plus important pour les théologiens de défendre la tradition que d'explorer au moyen de la raison le mystère divin. Au IXe siècle, pourtant, des philosophes musulmans nourris d'Aristote - Al-Kindi, al-Farabi, Avicenne, Averroès - ont tenté de concilier raison, révélation et prophétisme. S'ils n'ont pas réussi à faire souche dans leur propre culture, l'Occident leur doit une relecture de Platon et surtout d'Aristote qui influera durablement sur la pensée du Moyen Age.
Benoît XVI commet donc une inexactitude à Ratisbonne en présentant le christianisme comme la seule religion héritière de la pensée grecque : saint Thomas d'Aquin est aussi le fils d'Averroès. Les relations entre les deux religions s'organisent d'ailleurs dans les deux sens. Au XIXe siècle, du fait de la colonisation, les plus brillants intellectuels musulmans cherchent à tirer parti de la découverte des sciences et des techniques occidentales. Le « salaf », qui évoque aujourd'hui pour les occidentaux l'un des courants les plus intégristes de l'islam, a d'abord cherché, en s'inspirant du protestantisme, à revenir à l'esprit de l'islam, non à sa lettre.
Mais aujourd'hui ? Sur les chaînes de télévision satellitaires, les oulémas égyptiens interdisent de faire l'amour nu, sous peine de rompre les liens du mariage... Et le Vatican forme en hâte des exorcistes pour répondre à la demande de fidèles convaincus d'être harcelés par le diable. Toutes les religions sont confrontées à la montée de l'irrationnel et à ses excès. « Quand il n'y a plus de symbolique en référence, on a besoin d'inculpation, au lieu de rationaliser, on retourne au religieux, au magique, c'est-à-dire à la sorcellerie, aux bûchers, aux lynchages », écrit ainsi Régis Debray (le Monde des religions, mars-avril 2006). Pourtant, en attaquant la violence de l'islam (pour lequel, dit-on, il n'a jamais eu beaucoup d'attirance, lire page XX), Benoît XVI le subtil parle moins aux musulmans et aux obscurantistes de tout acabit qu'aux rationalistes qui refusent le fait religieux. « Une raison qui est sourde face au divin et repousse la religion au niveau des sous-cultures est incapable de s'insérer dans le dialogue des cultures », assure-t-il. Il en est convaincu : pour vaincre la folie du fanatisme, il faut se nourrir d'une foi raisonnable. Mais sa conception de la raison demeure celle du Moyen Age : l'esprit critique est là pour approfondir les dogmes, pas pour les critiquer. Or si ce sont des foules musulmanes qui brûlent des ambassades après la publication en Europe de caricatures de Mahomet, ce sont des chrétiens qui, aux Etats-Unis, tuent des médecins parce qu'ils pratiquent (légalement) des avortements. Au nom de la vie et de Dieu. Aux Etats-Unis, encore, presque la majorité des Américains pensent que l'homme et la femme ont été créés instantanément. Et l'obscurantisme peut être lui aussi rationnel. C'est au nom de la science que les créationnistes américains prétendent que Dieu a créé le monde selon le récit de la Genèse. « En revenant sur le devant de la scène, les religions traditionnelles ont absorbé le discours de la raison et du progrès et se sont modifiées », remarque Jean-François Colosimo, théologien orthodoxe et éditeur, auteur de « Dieu est américain » (Fayard, 2006). Rigide sur ses dogmes, l'Eglise de Benoît XVI ne peut pas se contenter de dénoncer la violence de l'adversaire. Elle doit elle aussi laisser sa liberté à la raison
« Christianisme et Islam parlent de la raison, mais pas de la même façon »
Le Point : Croire en un Dieu transcendant est-il compatible avec la raison ?
Rémi Brague : « Transcendant » ? Cela veut dire : ce qui va au-delà. Depuis Platon, le mot désigne ce qui se refuse à notre connaissance. Mais l'expérience de la transcendance, nous la faisons tous les jours : toute personne, parce qu'elle est libre, est un mystère insondable. Il y a un seul moyen de la connaître, c'est le langage : il faut lui faire confiance et la laisser s'expliquer elle-même. Un Dieu transcendant, dans le christianisme, cela veut dire : on ne le connaît pas comme un objet, mais comme une personne.
« Raison » ? En science, c'est la méthode qui calcule les lois auxquelles un objet est soumis. Dieu est inaccessible à cette raison-là. Mais toute personne l'est aussi. Raison, cela veut dire aussi les règles morales qui nous permettent de respecter la liberté des personnes, à commencer par la nôtre. C'est dans cette raison que Dieu parle. Chez Chesterton, le père Brown dit : « seule l'Eglise est rationaliste, elle seule dit que Dieu même est soumis à la raison. »
Le christianisme accepte-t-il mieux le principe de la raison que l'islam ?
Les deux religions parlent de la raison, mais pas de la même façon. Le Coran demande d'user de sa raison pour reconnaître l'action de Dieu et comprendre qu'il faut lui obéir. L'islam a eu des penseurs rationalistes. Et il accuse souvent le christianisme d'être irrationnel : la Trinité, c'est adorer trois dieux ; l'incarnation, c'est prendre un homme pour Dieu. L'islam, lui, n'apporte rien que de très plausible : un seul Dieu, qui, s'il parle aux hommes, reste dans son ciel. Argument qu'on peut d'ailleurs retourner en demandant si le prophète est utile. En a-t-on besoin pour savoir que Dieu est un et qu'il favorise les honnêtes gens ? Le pharaon Akhenaton ou Aristote le disaient déjà. Et est-ce la raison qui croit que le Coran vient de Dieu ?
Pour le christianisme, Dieu est un, parce qu'il s'unit à soi-même dans l'amour (Trinité) ; ce Dieu ne dicte pas sa volonté à ses créatures, il veut les faire entrer dans sa propre vie. Il leur dit qui il est en nouant une alliance avec son peuple. Pour le christianisme, elle va jusqu'à l'union des deux partenaires en une seule personne (Incarnation). Saint Jean appelle celui qui s'est fait homme le Logos. On traduit « Verbe ». On peut aussi traduire « raison ». C'est en lui que tout a été créé : le monde, avec son sens, et l'homme, avec sa raison et la liberté qu'il a de l'exercer
Propos recueillis par Catherine Golliau
L'homme par qui le scandale arrive
Cité par Benoît XVI six siècles après sa mort, Manuel II Paléologue est l'homme par qui le scandale arrive. Il fut empereur de Byzance de 1391 à 1425. Son père, Jean V, s'était converti de l'orthodoxie au catholicisme afin d'obtenir le soutien de Rome. Car, en ces temps difficiles, l'empire romain d'Orient, fondé mille ans plus tôt par Constantin, était harcelé par les Ottomans et se limitait à Constantinople et quelques territoires de périphérie.
Bel homme vêtu de pourpre et d'or, théologien, humaniste et homme de culture, tel apparaît Manuel II, qui vécut donc une longue partie de son règne assiégé dans son palais par les forces musulmanes. Il entreprit un grand voyage en Occident - Rome, Venise, Paris, Londres - pour demander de l'aide. Partout il fut reçu avec les honneurs dus à son rang. Mais l'Occident divisé ne sut pas se mettre d'accord pour sauver l'Empire byzantin des Ottomans. Et Constantinople tomba le 29 mai 1453
le point 21/09/06 - N°1775 - Page 50 - 2083 mots
http://www.lepoint.fr/monde/document.html?did=183438
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