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Friday, September 15, 2006

Les Gomatraciens de Gisenyi

Liturgies rwandaises

RWANDA - 10 septembre 2006 - par MARIANNE MEUNIER

Les routes du Rwanda ne sont jamais désertes. À toute heure du jour ou de la nuit, dans la vallée la plus reculée du pays, des files indiennes de villageois usent les semelles de leurs tongues sur le goudron ou la latérite. Au coucher du soleil, c’est même l’affluence. Les cortèges grossissent, les automobilistes doivent jouer du klaxon pour se frayer un chemin
Rituel immuable pour certains avant le retour à la maison : la halte à la borne-fontaine la plus proche, un fagot de longs feuillages de bananiers sur la tête, un bidon jaune dans une main, un sac de provisions dans l’autre. À la sortie de l’école, les élèves, cartables au dos, sont mis à contribution dans cette sorte de liturgie quotidienne.

Il en est ainsi le long des 180 km qui séparent Kigali de Gisenyi, à la frontière de la RD Congo. À ceci près que les villageois de la province du Nord, accrochée aux plateaux couverts de bananeraies surplombant la capitale, arborent des tenues vives, voire chamarrées, réputées dans tout le pays. Les femmes achètent leurs boubous à motifs orange, roses ou violets en RD Congo, où ils sont plus gais. Leurs couleurs se détachent sur le dégradé de vert des plaines et des collines : vert éclatant des plantations de thé, vert clair des marécages de bambous, vert tendre des bananiers touffus, vert pâle tirant sur le jaune des champs ?de blé, au sommet des collines. Ici, la moindre parcelle de terre est cultivée. Densité de la population oblige (300 habitants au km2, un record sur le continent).

À mesure que l’on approche de Gisenyi, le temps se rafraîchit. La région compte plusieurs volcans - dont l’un culmine à plus de 4 000 mètres. Mais il faut avoir de la chance pour en distinguer les sommets aplatis. Même en saison sèche, il n’est pas rare qu’il se mette à pleuvoir à verse pendant une heure au moins. Entre les eucalyptus sauvages - des arbres qui boivent beaucoup d’eau et ne donnent rien, déplore-t-on -, les maisons de torchis sont posées sur des fondations en lave éteinte. Devant, les femmes font sécher du sorgho noirci de cendre (pour la conservation) sur des linges blancs. Il servira de matière première à la fabrication de la bière dans la brasserie locale.

Gisenyi garde encore des traces de son lustre d’antan, même si la Communauté économique des pays des Grands Lacs (CEPGL) dont elle abrita le siège au lendemain des indépendances a perdu toute réalité sous les coups de boutoir des différends avec la RD Congo. Au pas du hasard et au goût du loisir, la ville déploie ses fastes d’hier : une promenade sur les rives du lac qui lui donne un air de station balnéaire ; d’imposantes maisons aujourd’hui décaties. Et s’attelle à la reconquête de ce passé prestigieux avec notamment la réhabilitation de l’hôtel Sun Kivu, inauguré en grande pompe par le président Paul Kagamé en juillet 2004. La terrasse de l’établissement accueille parfois des hommes d’affaires qui discutent de l’exploitation du gaz méthane du Kivu.

Au bout de la route qui longe le lac, une barrière : la frontière entre Gisenyi et Goma. Les deux villes ont beau se toucher, un monde les sépare. Dévastée par l’éruption du volcan Nyiragongo en janvier 2002, la capitale du Nord-Kivu se reconstruit peu à peu. Mais elle continue de traîner une mauvaise réputation : nombreux sont les « Gomatraciens » - c’est le nom que Kinshasa a donné aux habitants de la ville - qui, par souci de sécurité, choisissent de vivre à Gisenyi, ou tout au moins de confier leurs économies à l’une de ses banques. Les échanges entre les deux voisines sont quotidiens : les Rwandais de Gisenyi boivent du whisky congolais, moins taxé, les Congolais mangent des pommes de terre rwandaises. Sur des vélos à pédales manuelles, des handicapés de Goma apportent l’huile de palme à Gisenyi. Pendant le génocide et les mois qui ont suivi, de nombreux Rwandais hutus ont trouvé refuge de l’autre côté. Ils sont aujourd’hui rentrés et vivent sous des tentes de plastique vert installées dans des camps de transit à proximité de Gisenyi.
Jeune Afrique - 13 sep 2006... Mais elle continue de traîner une mauvaise réputation : nombreux sont les « Gomatraciens » - c’est le nom que Kinshasa a donné aux habitants de la ville ...
Jeune Afrique - 13 sep 2006... Mais elle continue de traîner une mauvaise réputation : nombreux sont les « Gomatraciens » - c’est le nom que Kinshasa a donné aux habitants de la ville ...

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